Le rôle des avocats dans la médiation
LE ROLE DES AVOCATS DANS LA MEDIATION
Article publié sur Lexis Nexis (revue Jurisclasseur Actes pratiques) Trimestriel No 4 Oct Noc Déc 2019
« Devenue médiateur Marie-Anne Gallot Le Lorier, Ancien membre du Conseil de l’ordre et Ancien membre du Conseil National des barreaux est aujourd’hui membre de l’Institut d’Expertise, d’Arbitrage et de Médiation, de l’Association des Médiateurs Européens, du Conseil de Direction de la Société de législation de Droit Comparé, et est référencée sur l’annuaire des avocats médiateurs du Centre National de Médiation des Avocats. »
INTRODUCTION
La Médiation tout le monde en parle : Les Institutions, qu’il s’agisse de la Chancellerie ou de nos instances professionnelles, invitent à y adhérer, à se former et à l’utiliser, la presse spécialisée ou même grand public y consacre de nombreux articles et dans ce contexte actuel largement incitatif au développement de la médiation tant judiciaire que conventionnelle, l’avocat constitue un élément très important et même déterminant du succès de ce processus.
I. Un constat : comment les avocats non formés voient-ils aujourd’hui la médiation ?
Bien que les avocats soient conscients des inconvénients que représente le recours au juge aujourd’hui (durée des procès due à l’encombrement des tribunaux, coût, aléa, dommages causés aux liens entre les parties) et malgré une évolution en faveur de ce processus de résolution des conflits, on constate que tant la médiation judiciaire que conventionnelle ne se développent pas comme elles devraient et qu’ils ne sont pas étrangers à cette situation.
Il faut bien voir en effet que la majorité de ceux qui ne sont pas formés à ce processus :
- Pense qu’elle est contraire à leur culture qui est celle du combat ;
- Méconnait le processus de médiation, et de ce fait, le confond avec la négociation, la conciliation ou le système des médiations institutionnelles ;
- Considère que celui-ci ne peut concerner que le droit familial, le droit de la consommation et le droit social et non le droit des affaires qui n’y serait pas adapté ;
- A tendance à discréditer ce mode de règlement des litiges et son environnement en restant arcboutée sur son habituel système de fonctionnement.
II Pourquoi les avocats non formés se montrent-ils donc encore réticents à promouvoir ce mode alternatif ?
A)- Alors que les aspects positifs de la médiation conventionnelle : souplesse, liberté, sécurité, gain de temps, coût maitrisé, créativité et confidentialité en font un instrument parfaitement adapté aux entreprises qui sont leurs clientes, les avocats n’y ont pas encore recours comme ils le devraient, prétendant souvent y être favorables mais arguant de prétextes fallacieux pour ne pas le faire.
Les prétextes essentiels sont : la médiation ne serait pas adaptée à certaines spécialités du droit des affaires, la confidentialité n’existerait pas d’où il y aurait un grand danger pour les parties à suivre une telle voie, et enfin en cas d’échec de la médiation, il y aurait perte de temps.
Tels sont, en effet, les arguments développés par certains de mes confrères, dont un candidat au bâtonnat, lors d’une réunion au cours de laquelle j’exposais les aspects positifs de ce processus.
De tels arguments apparaissent irrecevables, la médiation étant au contraire parfaitement adaptée au droit des affaires et au monde de l‘entreprise (cf. les aspects positifs parfaitement décrits dans le Rapport du Club des Juristes sur la Médiation).
Chacun sait aussi que la confidentialité y est essentielle : l’art L131 -14 CPC impose en effet la confidentialité au médiateur, les avocats des médiés sont soumis au secret professionnel et les parties signent en début de médiation, voire en début de chaque séance, un engagement de confidentialité strict.
Enfin, on ne peut pas plus arguer de perte de temps car en cas d’échec de la médiation dans le délai (délai légal de trois mois- plus trois mois éventuellement- en médiation judiciaire et délai fixé librement en médiation conventionnelle) le dossier aura été néanmoins parfaitement instruit et minutieusement analysé et la procédure utile pourra alors être immédiatement diligentée, la prescription ayant été suspendue conformément aux dispositions de l’article 2238 du code civil.
B) En réalité, si les avocats non formés ne font pas plus la promotion de cet instrument si bien adapté aux besoins des entreprises, c’est vraisemblablement :
- Par ignorance du processus, entrainant la difficulté pour eux d’en expliquer l’intérêt et les aspects positifs à leurs clients ;
- Par peur d’une remise en question radicale de leur stratégie en tant que conseil de leurs clients : le combat en effet n’est plus la norme, le droit n’est plus décisif, il s’agit de rechercher des solutions ;
- Par peur économique : la perte de leurs honoraires alors que les avocats de médiés développent grâce à la médiation un nouveau type de relations avec leurs clients qui contribuent à leur donner confiance et à les fidéliser.
III La modification en profondeur du rôle de l’avocat
Il est clair que la médiation modifie en profondeur le rôle de l’avocat qu’il s’agisse de l’avocat exerçant en qualité de conseil ou de l’avocat exerçant en qualité de médiateur.
A ) Pour l’avocat agissant en qualité de conseil :
Au démarrage du conflit :
Il appartient à tout avocat d’être un conseil efficace et de ce fait de réfléchir à la meilleure stratégie à proposer à son client dès l’origine du conflit.
Les dispositions de l’art 58 du NCPC (bien qu’insuffisantes car ne comportant pas de sanctions) doivent néanmoins conduire aujourd’hui l’avocat à se poser d’emblée la question de l’intérêt d’une médiation dans le conflit dont il est saisi.
L’avocat peut donc dès le démarrage du conflit penser qu’une médiation conventionnelle serait bienvenue avant toute procédure judiciaire.
C’est à lui d’apprécier avec son client l’opportunité d’une telle solution et de décider à quel moment précis (immédiatement ou en cours de procédure) il convient de la mettre à exécution puis de proposer et d’organiser la mise en place du processus.
Cela suppose qu’il est capable d’expliquer à son client les raisons pour lesquelles il pense que c’est le meilleur choix après lui avoir précisé le déroulement exact du processus, ses avantages et inconvénients.
Après avoir ainsi recueilli l’accord de son client, l’avocat prendra alors contact avec l’adversaire pour lui proposer ce mode de résolution et, s’il est accepté, fera choix avec lui d’un médiateur conventionnel formé.
Le médiateur choisi devra avoir l’expérience, la technicité et la personnalité pour lui permettre de prendre l’affaire.
J’ajoute que dans le cas de projets immobiliers et urbains de plus en plus complexes, l’avocat peut même en amont et pour éviter tout litige futur, mettre en place, en phase de réalisation d’un projet, pour les aménageurs et promoteurs, un processus de médiation destiné à rendre fluides et constructives les relations humaines sur le chantier et avec les riverains et fournisseurs.
De même, l’avocat, pour prévenir un litige entre un porteur de projet et une administration, pourra mettre en place une médiation.
En cours de procédure :
Si la procédure a été lancée, l’avocat pourra toujours, si cela lui parait judicieux en cours de procédure et avec l’accord de son client, proposer à son adversaire une médiation conventionnelle ou indiquer au juge l’accord des parties pour procéder à une médiation judiciaire.
Dans les deux cas, l’avocat devra préparer son client aux réunions à venir et aux spécificités du processus de médiation (caractère non contradictoire, apartés possibles, respect des propos de chacun, recherche de solutions, confidentialité, liberté) qu’il devra lui expliquer avec précision.
L’importance du rôle de l’avocat en cours de médiation judiciaire ou conventionnelle est essentielle et réclame psychologie et finesse.
Si les avocats des parties n’adhèrent pas vraiment à ce mode de règlement des conflits, celui-ci sera voué à l’échec.
C’est en effet à l’avocat qu’il appartient de préparer calmement et intelligemment son client afin de lui faire prendre le recul utile à la recherche de nouvelles solutions et lui éviter de s’enferrer sans espoir.
L’avocat devra faire en sorte, une fois cette préparation bien effectuée, de trouver avec lui une solution sur mesure à faire valoir dans un climat de respect mutuel et non de combat systématique au cours des réunions.
Eviter de mettre de l’huile sur le feu, communiquer autant que nécessaire avec le médiateur, être inventif, être à l’écoute, reformuler, et permettre habilement a son client de faire valoir la solution qui apaisera, tel doit être le rôle d’un avocat responsable et soucieux de l’intérêt de celui qui lui aura fait confiance.
Enfin, c’est à l’avocat qu’il appartiendra, en cas de succès, de rédiger l’accord qui aura été conclu entre les parties et de conseiller une éventuelle homologation.
Aujourd’hui donc, si les avocats souhaitent continuer à jouer un rôle de premier plan et exercer efficacement leur mission pour leurs clients dans des différends qui trouveront de moins en moins leur dénouement en ayant recours au juge, il leur appartient de se réinventer et de montrer leur capacité à trouver leur place en tant que conseil des parties dans un processus qui diffère complètement par nature de l’approche contentieuse.
Là où le rôle traditionnel de l’avocat contentieux est d’assister et de représenter sur la base d’une argumentation juridique soumise à un juge, seul décisionnaire, l’avocat en médiation doit se remettre en question et réfléchir autrement pour être en mesure de maitriser le processus notamment l’assistance à la prise de décision, la gestion des règles de confidentialité et la rédaction de l’accord conclu entre les parties.
B ) Pour l’avocat en qualité de médiateur
Lorsqu’un avocat qui s’est formé à la médiation devient médiateur, il est clair qu’il doit faire table rase de tous ses anciens reflexes.
Il doit avoir pleinement conscience qu’il n’est plus dans le combat et que son rôle doit consister à faciliter la communication des parties pour trouver une solution au conflit.
Toutefois, le fait d’avoir été avocat lui permettra peut-être de mieux comprendre les réactions de ses confrères chargés de la défense de leurs clients et de les amener par des apartés avec eux à adhérer pleinement au processus et à s’adonner à la recherche efficace de solutions nouvelles.
Sa qualité d’avocat devra l’aider à mettre en œuvre, avec sa propre personnalité, son rôle de médiateur compétent, indépendant, neutre et impartial, en disposant de toute l’autorité nécessaire
Ainsi aujourd’hui, les avocats se forment de plus en plus à la médiation grâce notamment aux formations efficaces des différents centres existants (IFOMENE, IEAM, CMAP) et deviennent de plus en plus conscients que ce mode de résolution des conflits constitue la justice de demain.
CONCLUSION
Tel est bien l’avis que nous donne aujourd’hui Christiane FERAL SCHUHL, Présidente du Conseil National des barreaux, Avocat spécialisé en nouvelles technologies et Informatique, Médiateur, interrogée sur le sujet :
« La médiation suppose un changement de comportement de tous.
A commencer par l’avocat, s’il continue à exercer les missions traditionnelles de représentation et de défense de son client, il doit également inscrire sa mission non plus dans une perspective d’affrontement, mais dans celle d’une collaboration. Il doit également inscrire les modes alternatifs de règlement des litiges dans la gamme des solutions à proposer à son client.
Pour le justiciable, il faut lui apprendre à se réapproprier le litige. Il devient partie prenante dans le cadre d’un processus structuré visant la résolution des conflits. Il devient acteur et force de propositions.
Quant au médiateur, certains vous diront que son rôle est à géométrie variable : médiateur-conciliateur pour certains, médiateur-facilitateur pour d’autres, médiateur-conseiller… Dans tous les cas, il doit être rompu aux techniques de communication humaine : écoute, reformulation, stratégies de réflexion, méthodologie, motivation, recadrage, recentrage, styles d’expression, préférences de perception, affirmation… En bref, il doit être impartial, neutre et entretenir un climat de confiance. Cela ne s’improvise pas et exige de la technique, du savoir, du savoir-faire et du savoir-être.
La médiation est donc une relation triangulaire, en rupture avec un raisonnement fondé sur les griefs, les rapports conflictuels. Il n’est plus question d’affrontement, mais de dialogue. Il ne s’agit plus de savoir qui a tort, qui a raison, mais d’ouvrir la voie à une justice restauratrice du lien social qui n’enlève rien au respect des normes et des lois, fondements des libertés et des démocraties.
Les parties travaillent dans un climat de concertation. Elles œuvrent pour la recherche de l’équité, conscientes qu’il n’existe pas de vérité absolue et que, entre deux vérités, il faut savoir faire des concessions ».